lundi 18 novembre 2013

Mademoiselle Solitude, de Bill Pronzini

Cela faisait presque dix ans que Bill Pronzini n’avait pas été traduit en français (le dernier était « La mort sans peine, publié chez L’écailler du sud en 2005). Et encore, entre 1996 et 2005, seuls quatre de ses romans ont paru en France. Surprenant lorsque l’on sait que l’écrivain américain a fait les beaux jours de la Série Noire dans les années 70 et 80 avec parfois plusieurs titres publiés au cours d’une même année. L’auteur a disparu petit à petit de nos librairies alors qu’il continue aujourd’hui encore d’écrire régulièrement aux USA.

Bravo donc aux éditions Denoël et à Frédéric Brument de lui donner une nouvelle chance. D’autant que ce Mademoiselle Solitude (Blue Lonesome en VO, sorti en 1995) est un très beau roman. Un roman policier classique, solide, de ceux qui vous emportent sans peine et sans artifice.

Cette fois ce n’est pas le détective récurrent « Nameless » (que l’on a pu voir notamment dans « LeCarcan ») qui est le héros, mais un dénommé Jim Messenger. Celui-ci aperçoit chaque jour à l’heure du déjeuner une jeune femme qui exerce sur lui une étrange fascination. Et puis un jour la jeune femme disparaît. Sans bien comprendre pourquoi, Messenger recherche sa trace pour se rendre compte que la mystérieuse étrangère s’est donnée la mort. Commence alors une enquête qui le mènera dans la ville natale de cette « Mademoiselle Solitude », un bled paumé dans le désert du Nevada, un bled où les étrangers ne sont pas les bienvenus et qui recèle pas mal de secrets.

Tous ceux qui aiment Thomas H. Cook devraient se jeter sur ce roman. Ils y retrouveront le même charme, les mêmes ambiances. Jim Messenger est un héros extrêmement attachant que l’on a plaisir à voir évoluer et se transformer au fil de sa quête de la vérité. Il y aussi du suspense, une vraie enquête et quelques bagarres. Le tout parfaitement orchestré par un vrai grand auteur : Bill Pronzini.   

Mademoiselle Solitude (Blue Lonesome), traduit de l’anglais (USA) par Frédéric Brument ; Ed. Denoël / Sueurs froides


vendredi 25 octobre 2013

On ne joue pas avec la mort, de Emily St John Mandel

Le premier roman d’Emily St John Mandel m’avait intéressé sans totalement m'emporter. La faute à une deuxième partie qui m’avait semblé un tantinet longue et redondante. Cette fois par contre, pas de pinaillage, « On ne joue pas avec la mort » est vraiment très bon, de la première à la dernière page. 
Il y a presque deux romans en un tant la première et la seconde partie sont différentes. Au début, on rencontre Anton, cadre dans une grosse boîte new-yorkaise. Sans bien que l’on sache pourquoi, l’employé se fait mettre au placard et pendant toute cette partie, on baigne dans un climat de thriller paranoïaque façon « Homeland » en essayant de savoir si l’on doit, ou non, faire confiance à notre héros. Ensuite, on change d’ambiance en se déplaçant sur la côté d’une île italienne où Anton (je ne dirai pas pourquoi) va passer de nombreuses journées à attendre un mystérieux rendez-vous.
Dis comme ça, j’ai bien conscience que l’histoire a l’air sans queue ni tête. Pourtant tout fonctionne et la construction est parfaitement maîtrisée. Le gros plus du bouquin c’est son ambiance totalement envoûtante. Difficile à classer – on pourrait peut-être parler de thriller introspectif – « On ne joue pas avec la mort » confirme le talent et l’originalité de cette auteure canadienne.


On ne joue pas avec la mort, de Emily St John Mandel, traduit de l'anglais (Canada) par Gérard de Chergé, Ed. Rivages/Thriller, 304 pages.

mercredi 23 octobre 2013

Zapping rentrée littéraire

Le bruit de tes pas, de Valentina D’Urbano : Un excellent premier roman italien. Très fort, doté d’une écriture incisive et brutale. Une histoire d’amitié sur quinze ans entre deux ados qui vivent dans un squat de la banlieue de Rome. Marquant.

Je ne retrouve personne, de Arnaud Cathrine : J’avais beaucoup aimé les premiers livres d’Arnaud Cathrine mais j’avais un peu oublié l’auteur depuis 2005. J’ai ouvert ce nouveau livre par une sorte de curiosité nostalgique mais sans trop y croire. Eh bien j’ai été agréablement surpris. L’histoire peut sembler banale et déjà vue (un trentenaire retourne dans la ville de son enfance pour s’occuper de la vente de la maison familiale. Ce retour aux sources va bousculer ses souvenirs et l’amener à réfléchir à sa situation actuelle) mais Arnaud Cathrine a un vrai talent d’écriture et ce livre m’a particulièrement ému.

Puzzle, de Franck Thilliez : Grosse, grosse, grosse  déception ! Si je ne suis pas un fan du duo Sharko Hennebelle, j’aime en général beaucoup les one shot de Thilliez (notamment Vertige). Ici ça démarre très bien avec un jeu grandeur nature façon The Game de Fincher. On accroche. Mais ensuite l’intrigue se déplace dans un hopital psychiatrique et tout devient du grand n’importe quoi. Et puis c’est looong ! La fin tellement facile et attendue renforce la déception.

Pur, de Antoine Chainas : Versus mis à part, je n'ai jamais vraiment été emballé par les romans de Chainas. Pur ne vient malheureusement pas me réconcilier avec l'auteur. Le début est pourtant intéressant et intrigant. Mais l'auteur me perd ensuite avec des situations peu crédibles. Quant aux idées sur la montée du nationalisme ou des ploutocraties, je n'y trouve pas grand chose qui n'ait déjà été dit et redit.

Esprit d’hiver, de Laura Kasischke : le livre qui aura enfin fait basculer Laura Kasischke de la reconnaissance critique au vrai succès publique. Bon, par contre ce roman n’est pas à mon avis son meilleur. Un huis clos entre une mère et sa fille adoptive qui joue sur les flashbacks. Certes il y a une vraie ambiance, oppressante à souhait, le suspense nous tient bien et ça se lit vite. Mais j’ai eu l’impression d’avoir déjà lu ça avant et le livre ne m’a pas procuré beaucoup d’émotions contrairement à ses romans précédents (Rêves de garçon par exemple).

Le quatrième mur, de Sorj Chalandon : En 1982, un homme va tenter de monter l’Antigone d’Anouihlh au Liban, en pleine guerre. Le livre s’ouvre sur une scène très forte. Mais il perd rapidement son rythme et ne retrouve jamais la fulgurance et l’émotion qu’on aurait pu attendre d’une telle histoire.

Les évaporés, de Thomas Reverdy : Un récit qui se penche sur le sort de d’un « évaporé » au Japon, ces personnes qui pour éviter la honte et le déshonneur ou pour échapper à la mafia, quittent tout pour refaire leur vie ailleurs. L’aspect sociologique du récit m’a plu, l’intrigue et l’écriture beaucoup moins.   

samedi 19 octobre 2013

Epépé, de Ferenc Karinthy

Bravo aux éditions Zulma d’avoir eu la très bonne idée de sortir (enfin) ce livre en format de poche et de lui offrir du coup une seconde vie.
Soyons clair et concis : Epépé est un roman génial ! Je l’ai découvert il y a quelques années et depuis il persiste à s'inviter régulièrement dans mes pensées.
Ecrit dans les années 70 par le Hongrois Ferenc Karinthy, ce livre est aussi fou et angoissant que du Kafka et du Buzzati confondu, le tout avec une pointe d’humour pour mieux nous faire passer la pilule. On y suit un linguiste polyglotte érudit qui se retrouve propulsé sans bien savoir comment dans une ville inconnue et surpeuplée. Or notre héros est pris de quelques sueurs froides lorsqu’il se rend compte qu’il ne comprend pas un seul mot de ses étranges habitants. Tout du long il n’aura de cesse de tenter de communiquer, de rétablir ce rapport à l’autre sans lequel toute vie perd son sens. Fable acerbe, critique amère du communisme, récit doux dingue où l’absurde côtoie la folie. On ressort de ce roman sonné. Mais d’un mal qui fait du bien.


Epépé, de Ferenc Karinthy, traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy, Ed. Zulma, 288 pages 

mercredi 16 octobre 2013

Tough luck, de Jason Starr

Tough Luck n’a jamais encore été traduit en français. Je m’y suis donc attelé en VO. C’est un Jason Starr correct. En gros, meilleur que ses derniers bouquins (Harcelée, Crise de panique), mais pas aussi bon que ses premiers (La Ville piège, Petits meurtres à Manhattan).
L’histoire est assez classique quand on connaît l’auteur : un jeune loser de Brooklyn qui ne cesse de prendre les mauvaises décisions et qui se retrouve pris dans un engrenage infernal dont la seule issue possible est la folie.

Le livre est tout de même très plaisant, je suis bien rentré dedans, mais encore une fois il est trop proche des autres livres de Jason Starr (au programme, paris sportifs, dettes, cambriolage qui tourne mal, cadavre à dissimuler…) sans en atteindre le niveau. Bon, question renouvellement, l’auteur a quand même fait des efforts depuis puisque ses deux derniers bouquins en date (The Pack et The Craving, que je n’ai pas encore lus) font intervenir des loups-garous… Me demande bien ce que ça va donner cette histoire.  

Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre

Pour moi c’est simplement le roman le plus fort de cette rentrée littéraire, le roman que j’ai le plus dévoré, celui qui m’a le plus ému et enthousiasmé. A vrai dire je suis loin d’être le seul, le bouquin ayant reçu un très bon accueil du côté des médias, des libraires et du public.
Je l’attendais de pied ferme ce Pierre Lemaitre. Déjà fidèle lecteur de ses romans policiers, je trouve qu’il a parfaitement réussi son virage qui l’emmène en dehors de la littérature de genre. « Au revoir là-haut » n’est donc pas un polar, mais il conserve les qualités propres aux livres de Pierre Lemaitre : un sens du rythme époustouflant et des personnages extrêmement forts.
Le roman parle de l’après-guerre 14. Durant les 50 premières pages, nous sommes encore sur le champ de bataille. On rencontre les trois protagonistes, deux soldats malchanceux et un gradé franchement dégueulasse. Après une première scène d’anthologie, on se retrouve donc en 1919. Et c’est là que le propos de Pierre Lemaitre se développe. Il nous montre une France qui veut laisser la guerre derrière elle quitte à en oublier ses héros. Des héros pathétiques, détruits physiquement et psychologiquement, des laissés pour compte. Sauf que deux d’entre eux, Albert et Edouard, vont tenter de prendre leur revanche sur cette France ingrate en mettant sur pied une superbe arnaque.

Roman de la rentrée disais-je. Pour retrouver ce plaisir qu’on a pu connaître en lisant Dumas. Pour se replonger dans une époque que de moins en moins de gens ont connu. Pour lire un sacré bon bouquin.

Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre, Ed. Albin Michel, 567 pages 

lundi 13 mai 2013

En attendant la vague, de Gianrico Carofiglio


Le nouveau roman de Gianrico Carofiglio ne met pas en scène l’avocat Guido Guerrieri. Ce n’est pas non plus vraiment un polar. Par contre c’est un très bon bouquin.

Roberto est un carabinier en convalescence dont on comprend rapidement que des années d’infiltration au sein même des réseaux de narcotrafiquants auront fini d’user sa santé mentale. C’est dans le cabinet d’un psy qu’on le rencontre pour la première fois et qu’on remontera avec lui les fils de sa vie passée. Pour chercher et essayer de comprendre comment sa vie a pu basculer, comment il a pu se retrouver hors du monde, tel une coquille vide.
C’est toujours un plaisir de se laisser embarquer par la prose très fluide de Carofiglio. Avec lui, on a toujours l’impression de flotter un peu, d’être en retrait pour mieux observer les choses se dérouler. Une lecture apaisante, presque une invitation à la méditation.
     
« En attendant la vague », de Gianrico Carofiglio, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Ed. Seuil, 270 pages.

dimanche 28 avril 2013

Vanity Game, de H. J. Hampson

Une star du football tue sa femme top model. Celle-ci revient d'entre les morts. Sauf que ce n'est pas vraiment elle mais une pauvre fille qui a subi chirurgie esthétique et cours de diction pour lui ressembler. Apparemment c'est du très bon boulot parce que tout le monde se laisse berner. Sauf le lecteur.

Pas grand chose à dire. Du thriller pas vraiment haletant, ni même rigolo. Allez hop, on oublie tout ! D'ailleurs, quelques jours après la fin de ma lecture, je ne me souviens déjà plus de rien.

Vanity Game, de H. J. Hampson, traduit de l'anglais par Fanchita Gonzalez Batlle, éd. Liana Lévi, 288 pages. 

mercredi 17 avril 2013

L’évasion, de Dominique Manotti


Cela ne surprendra personne : le nouveau Manotti est génial.
Ce n’est pas pour autant que le livre, lui, n’est pas surprenant.

La précision documentaire, l’exploration d’un fait historique et d’un microcosme (ici les émigrés politiques italiens en France et le milieu littéraire des années 80), le style vif, cadencé et hyper efficace, la virtuosité dans l’alternance des modes de narration… Tout cela, on connaissait déjà et c’est de nouveau parfaitement réussi.

Par contre, l'auteur a visiblement expérimenté quelque chose de nouveau dans son écriture. J’ai vraiment eu l’impression de découvrir une nouvelle Manotti dans sa façon de faire vivre son personnage principal, Filippo Zuliani, réfugié politique, aspirant écrivain, amoureux introverti et mythomane romantique. Manotti - qui a généralement tendance à resserrer au maximum ses intrigues - se permet ici de lâcher régulièrement du mou sur l’aspect policier pour s’attarder sur ce personnage, l’approcher sous plusieurs angles et lui donner du relief. Mille fois bravo pour ce portrait fascinant. 

Enfin, merci à Manotti de nous avoir épargné les habituelles et lourdingues mises en abîmes et autres réflexions fumeuses sur la littérature trop souvent présentes dès lors qu’un écrivain est le héros d’un bouquin (Joël Dicker, si tu nous entends…).

L’évasion, de Dominique Manotti, ed. Série Noire/Gallimard, 210 pages, 2013

vendredi 12 avril 2013

Crise de panique, de Jason Starr


« Harcelée » avait été le premier livre de Jason Starr à me décevoir. « Crise de panique » est le second. Zut.

En pleine nuit, le Dr Adam Bloom surprend deux cambrioleurs chez lui. Se sentant en danger et pour protéger sa femme et sa fille, Adam sort son flingue et tue l’un des intrus pendant que l’autre s’échappe. Dès le lendemain, tout dérape. Emballement médiatique, suspicion des flics, famille qui implose… 
Toute cette première partie est plutôt efficace et prometteuse. Mais le roman prend vite une autre tournure lorsque le deuxième cambrioleur décide de revenir se venger. Et là on tombe dans une redite de « Harcelée » assez peu vraisemblable (avec notamment le psychopathe qui vient séduire la fille de la famille pour s’infiltrer au sein de celle-ci). Il y a aussi pas mal de longueurs. Souvent une même scène est revue sous le point de vue d’un personnage différent. Le problème c’est que soit on n’apprend rien de nouveau, soit l’auteur ne fait qu’expliciter des choses sous-entendues et déjà bien comprises.

« Harcelée » (2007) et « Crise de panique » (2009) font partie des derniers romans écrits par Jason Starr. Clairement, ils ne sont pas du même niveau que ceux de la période des débuts (1998-2004, voir la liste dans mon billet sur "Loser") avec une orientation plus thriller et grand public. Perso, j’aime moins. J’espère que ce sont juste des écarts et non un tournant définitif.

Crise de panique, de Jason Starr, traduit de l’anglais (USA) par Marie Ollivier-Caudray, Ed. Outside, 375 pages.

mercredi 10 avril 2013

Diable rouge, de Joe R. Lansdale


Bonne nouvelle : Hap et Leonard sont de retour !

Joe Lansdale rameute ses deux compères texans pour une nouvelle histoire pleine de grosses bastons qui tâchent et d’humour décapant. Depuis le temps (c’est leur septième aventure traduite en français) l’auteur tient bien en main ses deux héros et on ressent tout le plaisir qu’il a à les mettre en scène. 
La preuve par l’exemple avec un petit dialogue pas piqué des hannetons :

-         Bon sang, c’est quoi, ça ? demandais-je.
-         C’est un tapabord.
-         Un tapabord ?
-         Tu sais bien, la casquette de chasse de Sherlock Holmes, dans les films.
-         Oui, je sais, mais qu’est-ce que tu fous avec ça ?
-         Je le porte.
-         Et moi, je dois me coiffer d’un chapeau melon, me balader avec un parapluie et me faire appeler Watson ?
-         Tu serais d’accord ?
-         Mais où t’as trouvé ça ?
-         Je l’ai acheté à Halloween pour aller à une fête.
-         Tu t’es déguisé en Sherlock Holmes pour Halloween ?
-         Je ne fais pas ça souvent, répondit Leonard. John s’était travesti en Watson.
-         Mais alors, pourquoi tu ressors ça maintenant ? Halloween est passé depuis longtemps.
-         On est sur une affaire. La traque est lancée.
-         Leonard, tu ne vas pas te promener avec ce chapeau débile.
-         Et pourquoi pas ?
-         Parce qu’on te remarquera comme une bite en érection dans un couvent de bonnes sœurs.
Leonard se détourna et fixa le pare brise.
-         Tu vas me tirer la gueule, maintenant ?
Il ne répondit pas.
-         Je sais bien que tu craques pour les chapeaux, Leonard, mais t’as pas la tête pour ça… Bon, d’accord, tu peux le garder dans la voiture. T’as pigé ?
Leonard mis sa ceinture de sécurité, posa ses mains sur ses genoux et regarda droit devant lui.
-         En dehors de la voiture, si tu sors avec cette horreur, je risque d’être obligé de te flinguer.

Diable rouge, de Joe R. Lansdale, traduit de l’anglais (USA) par Bertranc Blanc, Ed. Denoël Sueurs froides, 320 pages

mardi 9 avril 2013

Carmen (Nevada), d'Alan Watt


Quelque part entre « Virgin Suicides » et « Elephant » de Gus Van Sant, ce beau livre d’Alan Watt nous plonge dans le mal-être d’un ado. Neil Garvin ne sait plus qui il est, ni ce qu’il veut ou ce qu’il doit faire. Un père abusif, une mère absente, l’âge adulte qui approche trop rapidement… Et puis cet accident, au volant de sa voiture, alors qu’il avait trop bu. Un garçon est percuté. Neil cache le corps. La culpabilité s’installe et le mal-être tourne alors au violent désespoir.
Le livre m’a beaucoup fait penser au roman « Les âmes perdues » de Michael Collins. Intrigue proche, même façon de naviguer aux lisières du polar, de décrire la vie provinciale américaine, et surtout de nous faire ressentir les désarrois de l’adolescence. Dans le même genre il y a aussi « Rêves de garçons » de Laura Kasischke. On pourrait en citer d’autres. Et c’est peut-être le seul petit reproche que je ferais au bouquin qui, même s’il est fort bien réalisé, m’a semblé un poil déjà-vu. Il n’empêche, c’est une bonne nouvelle de lui voir offrir une nouvelle vie avec ce passage au poche, 10 ans après sa publication dans feu La Noire de Gallimard.

Carmen (Nevada), d'Alan Watt, traduit de l'anglais (USA) par Laetitia Devaux, Ed. Le Masque, 350 pages

vendredi 5 avril 2013

Du polar, de François Guérif

Un livre passionnant et qui se dévore. Ce n'est pas un polar, c'est "Du polar", recueil d'entretiens entre Philippe Blanchet et le Monsieur polar de chez Rivages, François Guérif. On y parle James Ellroy et David Peace pour citer d'abord mes deux préférés, mais de bien d'autres auteurs encore : Thompson, Manchette, Goodis, Westlake.... C'est bourré d'anecdotes, de réflexions sur le genre, de considérations historiques passionnantes... tout ça avec une intégrité et une conviction pour défendre une vraie littérature enfin prise au sérieux. Bref, des propos exaltants à lire sans faute.

Du polar, de François Guérif et Philippe Blanchet, Ed. Manuels Payot, 300 pages, 20 € 

dimanche 17 mars 2013

Rien, plus rien au monde, de Massimo Carlotto


Sous-titré « Monologue pour un crime », « Rien, plus rien au monde » nous place dans la tête d’une femme pauvre et désespérée. Ses seuls objets d’évasion : les programmes médiocres de la télévision et les journaux à sensation. Ils constituent aussi la seule lueur d’espoir qu’elle voit briller pour sa fille. A 20 ans, si elle continue comme ça, la gamine finira comme la mère. Mais plutôt que d’essayer de se trouver un mari riche, plutôt que de postuler pour devenir potiche à la télé ou de s’inscrire à une télé-réalité, la fille ne trouve rien de mieux que de s’encanailler d’un immigré tunisien et de dépenser son argent en collectionnant des bibelots… A croire qu’elle fait tout ça juste pour emmerder sa mère. Si elle s’évertue à ne pas vouloir comprendre, tout ça risque de mal finir…
Avec sa forme condensée (une cinquantaine de pages), le texte de Carlotto fait un effet dévastateur. Une fois débuté, le monologue nous entraîne comme un train fou vers une fin tragique. Les mots nous engloutissent, on se noie dans cette vie misérable, grise, où surnagent quelques espoirs pitoyables et dérisoires. Carlotto parle de la nouvelle pauvreté. Les vies sans but où ce que l’on gagne en travaillant permet à peine de payer le loyer, où l’on ne pense qu’à la façon de régler la prochaine facture, où l’on noie les soucis dans l’alcool et où l’espoir d’une vie nouvelle irradie du tube cathodique. Un texte fort mais franchement déprimant.

Rien, plus rien au monde, de Massimo Carlotto, traduit de l’italien par Laurent Lombard, Ed. Métailié, 70 pages.

lundi 11 mars 2013

L’immense obscurité de la mort, de Massimo Carlotto


Après « A la fin d’un jour ennuyeux », j’ai eu envie de découvrir un peu plus l’œuvre de Massimo Carlotto. On m’a recommandé « L’immense obscurité de la mort » et le conseil était avisé. J’ai retrouvé tout ce qui m’avait tant plu dans les précédents ouvrages de l’auteur italien : une écriture sèche et incisive, un récit sombre et dérangeant, une réflexion complexe sur le fonctionnement de notre société.

Silvano Contin est un homme détruit depuis l’assassinat  de sa femme et de son fils. L’assassin a été condamné à perpétuité mais, au bout de quinze ans de prison, on envisage de le laisser sortir car un cancer le ronge, ne lui laissant qu’à peine deux ans à vivre. Voilà le point de départ de l’histoire. A chaque chapitre, le point de vue s’échange entre celui de la victime et celui du condamné. Au bout de quelques chapitres, j’avais l’intuition de m’engager dans quelque chose de fort mais de déjà vu. Mais vers la moitié du récit, tout bascule. Carlotto nous entraîne sur des chemins qu’on n’aurait jamais imaginés. Voilà ce que j’aime tant avec cet auteur : le voir prendre une situation qui nous semble familière et l’exploiter sous un angle totalement original. Alors, oui, comme le suggère l’histoire, l’auteur questionnera les notions de justice, de pardon et de vengeance. Mais la façon qu’il aura de le faire risque bien de vous laisser un brin chancelant.

L’immense obscurité de la mort, de Massimo Carlotto, traduit de l’italien par Laurent Lombard, Ed. Métailié, 190 pages

Captif, de Neil Cross


J’avais beaucoup aimé le premier roman traduit en français de Neil Cross, « L’homme qui rêvait d’enterrer son passé ». Il m’avait pas mal fait penser aux romans de Jason Starr par son réalisme, par son côté « engrenage infernal » et par son écriture limpide et accrocheuse. J’étais donc tout content de me lancer dans « Captif », et puis… patatra ! J’ai rien aimé. Mais rien de rien. Je me suis ennuyé, j’ai trouvé que rien n’était crédible et que tout était parachuté. Rien à sauver. L’histoire en deux mots quand même : un homme enquête sur la disparition d’une de ses amies d’enfance, soupçonne le mari de celle-ci, pète un plomb et le séquestre). Alors, je sais que certains on aimé ce livre. Que d’autres non. Que d’autres encore ont aimé le premier et pas le deuxième… et vice versa. Conclusion : je crois que Neil Cross, faut pas trop essayer de chercher de logique, y’en a pas. Donc un conseil : ne vous fiez pas à mon avis.  

Captif, de Neil Cross, traduit de l'anglais par Renaud Morin, Ed. Belfond, 360 pages (mais avec des marges qui occupent la moitié de la surface d'une page et une typo 57 plus grande que celle d'un Oui-Oui)

jeudi 7 mars 2013

Emergency 911, de Ryan David Jahn


L’Américain Ryan David Jahn avait signé un très bon polar psychologique l’année dernière, « De bons voisins ». Le revoici avec un nouveau livre très différent, plus axé thriller à la sauce flic-texan-qu’a-peur-de-rien VS redneck-bouseux-qui-séquestre-des-gamines-sans-trop-comprendre-ce-qu’il-y-a-de-mal-à-ça.
Le roman débute alors que Ian, flic dévasté depuis l’enlèvement de sa petite fille il y a sept ans, reçoit un appel au 911. A l’autre bout du fil : sa fille, bien vivante, qui est parvenue à s’échapper de la cave où on la séquestrait. Manque de bol, son ravisseur est sur ses traces et parvient à la récupérer. Avec les nouveaux indices qui viennent de surgir, Ian va alors tout faire pour récupérer son enfant
Très différent de « De bons voisins » disais-je. Le réalisme, la psychologie des personnages : out ! Bon, pour le réalisme, admettons, on est dans un thriller alors laissons-nous porter par l’action. Par contre c’est plus gênant pour la dimension psychologique. Une chose m’a vraiment embarrassé : je n’ai jamais ressenti que Ian était dévasté par la disparition/mort de sa fille. Je n’ai pas ressenti non plus qu’il était bouleversé lorsqu’il se rend compte qu’elle est finalement bien vivante au bout de 7 ans. Ryan David Jahn se contente de nous décrire son pétage de plomb et ses actions extrêmes (poursuite du couple qui a séquestré sa fille avec quelques gros calibres, torture bien tranchante pour obtenir des informations…) Alors forcément, on comprend bien que s’il fait tout ça, s’il va aussi loin, c’est parce qu’il est bouleversé. On le comprend. Mais on ne le ressent pas.
Reste que le livre se lit bien. Qu’on y trouve ce qu’il faut d’action et de suspense pour ne jamais s’ennuyer. Et que Ryan David Jahn a un vrai style. Mais en le voyant se contenter de signer un petit thriller – bien réalisé mais amené à être vite oublié - je ne peux pas m’empêcher de faire mon grincheux.

Emergency 911 (The Dispatcher), de Ryan David Jahn, traduit de l'anglais (USA) par Simon Baril, Ed. Actes Sud, 336 pages.

vendredi 1 mars 2013

À la fin d’un jour ennuyeux, de Massimo Carlotto


« A la fin d’un jour ennuyeux » fait suite à « Arrivederci amore ». On y retrouve le même ignoble salopard, Giorgio Pellegrini, criminel misogyne et violent, calculateur et amoral, prêt à tuer et à torturer dans l’instant si cela peut lui être profitable. Inutile d’avoir lu le premier opus pour s’attaquer à celui-là mais, les deux étant excellents, ne vous privez pas du plaisir de les lire l’un après l’autre.
Massimo Carlotto signe un roman passionnant mais très noir, où chaque page nous pousse à l’indignation. Au centre de l’intrigue, Girogio Pellegrini, donc, propriétaire influent d’un restaurant et accessoirement à la tête d’un réseau de prostitution haut de gamme. Mais bientôt la chance va tourner avec l’entrée en jeu de la mafia. Evidemment, Pellegrini ne va pas tarder à reprendre la main en élaborant un plan pour s’en débarrasser.  
Roman déplaisant, mais roman passionnant. Massimo Carlotto a le chic pour nous plonger dans le pire de la société d’aujourd’hui où le profit et l’intérêt personnel priment sur tout. J’ai particulièrement apprécié la fin du livre avec un Pellegrini plus que jamais confortablement intégré au sein d’un système corrompu. La criminalité dans laquelle il s’inscrit a changé, moins risquée et plus rentable. Fini les putes. Place à la finance et à la politique. Prévue pour 2015, la suite s’annonce diablement excitante.          

À la fin d’un jour ennuyeux, de Massimo Carlotto, traduit de l’italien par Serge Quadruppani, Ed. Métailié Noir, 192 pages.

mercredi 27 février 2013

Un Jambon calibre 45, de Carlos Salem


Avec la lecture de l’énorme 2666 de Bolano, j’ai pris pas mal de retard sur les sorties polar. Pour la reprise, j’ai choisi Carlos Salem dont j’avais beaucoup aimé  « Nager sans se mouiller ». Même s’il n’atteint pas les sommets de ce dernier, j’ai trouvé « Un Jambon calibre 45 » vraiment plaisant. Le bémol par rapport à « Nager sans se mouiller » vient de l’intrigue… quasi inexistante. J’exagère à peine. Notre héros se retrouve du jour au lendemain forcé à rechercher une jeune inconnue sous peine de se voir offrir un aller simple pour la morgue. A partir de là Carlos Salem s’amuse à faire déambuler notre héros dans les rue de Madrid, à le faire rencontrer des femmes aussi sublimes que vénéneuses tout en se faisant suivre par un tueur à gage au grand cœur et par un chat moqueur. Mais comme la plume de l’auteur est réjouissante, à la fois sexy, pleine de malice et de poésie, on se laisse trimbaler sans rechigner et sans trop prendre ombrage des innombrables digressions et divagations qu’il nous sert.
Donc pour ceux qui ne connaissent pas encore Carlos Salem : direction « Nager sans se mouiller ». Pour les autres, place au jambon.

Un Jambon calibre 45, de Carlos Salem, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, Ed. Actes Sud, 288 pages

lundi 28 janvier 2013

La Forêt muette, de Pierre Pelot - La Petite fille qui aimait Tom Gordon, de Stephen King

Après "Des Noeuds d'acier" et "Une semaine en enfer", j'ai continué dans la thématique "promenons-nous dans les bois pendant que le loup y est".


Passons rapidement sur une énorme déception : "La petite fille qui aimait Tom Gordon". Ca faisait une éternité que je n'avais pas lu de Stephen King et j'y allais avec un bon espoir de frisonner. Hélas, rien du tout. Juste un gros, gros ennui.
Une petite fille se perd dans les bois, marche, tombe, mange des baies, se pique deux ou trois frayeurs avec quelques bruits bizarres, s'invente un compagnon imaginaire pour la soutenir, continue de marcher et de tomber.... Voilà, c'est à peu près tout ce que j'aurai retenu... On zappe.


Heureusement, "La Forêt muette" de Pierre Pelot a rattrapé le coup. Là, enfin, une vraie ambiance, qui met mal à l'aise, qui nous angoisse. Deux bûcherons au fond d'une forêt qui se retrouvent face à une jolie jeune fille sortie de nulle part, frêle et sans défense. Hallucination ? Il ne semblerait pas. Alors que faire ? Prévenir les secours ou au contraire s'assurer que personne ne se trouve dans le coin ? Il ne faudra pas longtemps pour que le tension entre les deux bûcherons se mette à monter de quelques crans, jusqu'à l'explosion dans l'horreur. Un bon roman façon série B, effrayant comme il faut avec un beau travail sur la psychologie des personnages.


La Petite fille qui aimait Tom Gordon (The Girl who loved Tom Gordon) traduit de l'anglais (USA) par François Lasquin, Ed. Albin Michel, 330 pages.
La Forêt muette, de Pierre Pelot, Ed. Verticales, 190 pages. 

dimanche 20 janvier 2013

Une semaine en enfer, de Matthew F. Jones


Si j’ai beaucoup aimé « Des nœuds d’acier » de Sandrine Collette, « Une semaine en enfer » de Matthew F. Jones - publié simultanément dans la même collection Sueurs Froides de Denoël - m’a laissé de marbre. 
Le héros, John Moon, est un américain tendance redneck qui se retrouve avec un cadavre sur les bras ainsi qu’un beau paquet de fric lorsqu’il tue une jeune inconnue lors d’un accident de chasse. Bien sûr, il ne faudra pas attendre longtemps pour que quelqu’un de plutôt mal attentionné se pointe avec la ferme intention de récupérer le pognon.
Pas accroché donc. Sans doute parce que j’avais l’impression d’avoir déjà lu et vu ça avant (j’ai pensé notamment à « Un plan simple » de Sam Raimi) et que l’écriture ne m’a pas particulièrement touché. Je me demande pourquoi Denoël a choisi précisément ce texte qui date de 1996 pour inaugurer sa collection. Peut-être que le roman est un classique aux Etats-Unis ? Ou peut-être est-ce parce qu’une adaptation cinématographique est prévue ? En tout cas il ne m’aura pas emballé. Dommage.

Une semaine en enfer, (A single shot) de Matthew F. Jones, traduit de l'anglais (USA) par Pascale Haas, Ed. Denoël/Sueurs Froides, 256 pages

jeudi 17 janvier 2013

Des nœuds d’acier, de Sandrine Collette

En commençant « Des Nœuds d’acier », je m’attendais à un petit thriller horrifique sympa qui me ferait frissonner gentiment, genre « Vertiges » de Thilliez.
Loupé.
J’ai pas rigolé du tout.
Et je me suis méchamment pris le bouquin en pleine face.
C'est l’histoire d'un gars qui se retrouve séquestré et réduit à l’esclavage par deux vieillards et c'est juste terrifiant. Il ne se passe pas grand-chose, il n’y a pas de rebondissements incroyables et à peine quelques effets de suspense. Pourtant l’auteur, Sandrine Collette, nous tiens et ne nous lâche pas. Elle nous traîne dans la longue déchéance de cet homme à qui l’on nie toute humanité, que l’on rabaisse au rang de chien. Le point de vue sur les deux tortionnaires est lui aussi très bien maîtrisé. Il y a peu de dialogues mais les quelques rares phrases que ces vieillards prononcent sont à chaque fois glaçantes.
Un premier roman très noir et très réussi qui relance brillamment la collection « Sueurs Froides » des éditions Denoël*.

* Créée en 1962 la collection s’était éteinte il y a une quinzaine d’année. Pour ce redémarrage, six titres (français et étrangers) devraient être publiés cette année, dont un signé Joe R. Lansdale. Concernant les ouvrages, par leur prise en main, par le papier mais aussi par l’identité graphique des couvertures, on pense beaucoup à l’actuelle Série Noire. Je trouve que c’est réussi et visuellement assez attractif. Bravo donc, et longue vie à la collection !

Des nœuds d’acier, de Sandrine Collette, Ed. Denoël/Sueurs froides, 265 pages 

mercredi 16 janvier 2013

Ravages, de Anne Rambach

Diane Harpmann est journaliste. Lorsqu’elle apprend la mort de son ami et collègue Dominique André, elle se méfie immédiatement de la thèse avancée du suicide. Ces derniers mois, André travaillait sur le scandale politico-industriel de l’amiante. Diane décide alors de reprendre l’enquête sans se douter que les tueurs de son ami vont bientôt se lancer sur ses traces.
Anne Rambach, l’auteur du livre, est elle aussi journaliste. On ne s’en étonne pas car si son récit prend la forme d’un polar, façon Erin Brockovich en un peu plus musclé, il est aussi parfaitement documenté. On apprend beaucoup de choses sur l’amiante et sur la façon dont les risques qui y sont liés ont été (mal) gérés. Ne serait-ce que pour cela, l’entreprise est à saluer.
Une fois cela dit, le roman n’est pas exempt de défauts. Si j’ai vraiment accroché durant le premier tiers – la partie la plus forte en suspense -, mon intérêt a commencé à faiblir durant le deuxième tiers plus démonstratif, pour finalement complètement retomber vers la fin (retour à l’action pure et dure) avec un dénouement parachuté et pas à la hauteur de ce qu’on pouvait espérer.
Bref, c’est un roman bourré de bonnes intentions : sérieux dans son exécution, original par son thème et démontrant une envie évidente de ne pas ennuyer. Alors même si pour moi ce n’est qu’à moitié réussi, j’ai quand même plutôt envie de recommander le livre.  

Ravages, de Anne Rambach, Ed. Rivages/Thriller, 400 pages

lundi 14 janvier 2013

Un notaire peu ordinaire, d'Yves Ravey


« Madame Rebernak ne veut pas recevoir son cousin Freddy à sa sortie de prison. Elle craint qu’il ne s’en prenne à sa fille Clémence. C’est pourquoi elle décide d’en parler à maître Montussaint, le notaire qui lui a déjà rendu bien des services. »

Voilà un livre que Chabrol n’aurait sans doute pas rechigné à adapter en film. Un récit bref (tout juste 100 pages) mais hyper tendu. En quelques mots précisément choisis, Yves Ravey évoque les clivages sociaux qui règnent dans cette petite ville de province. Il y a Freddy l’ex-taulard, la brave Madame Rebernak dont on parle avec commisération depuis qu'elle a perdu son mari (et qu'elle a de fait régressé socialement) et tout en haut de l'échelle la figure respectable et intouchable du notaire. Chacun dans un rapport de domination ou de soumission par rapport aux autres.
En quelques phrases bien placées, Yves Ravey entretient son suspense, suscite la curiosité du lecteur. Même le titre nous interroge. Parce qu’il met du temps à apparaître ce fameux notaire, et on aimerait bien savoir ce qu’il a de si peu ordinaire.
Mais il n’y a pas que ça. Non seulement Yves Ravey nous plonge parfaitement dans une certaine réalité sociale. Non seulement il parvient à jouer avec nos nerfs. Mais il réussit aussi à dessiner en creux un formidable portrait de femme, de ceux qu’on n’oubliera pas de si tôt. Une réussite.

Un notaire peu ordinaire, d'Yves Ravey, Ed. de Minuit, 100 pages

vendredi 11 janvier 2013

Une Fille, qui danse, de Julian Barnes


Avec son précédent roman, Julian Barnes s’était aventuré aux abords du polar. Un « Arthur & George » assez plaisant où Sir Arthur Conan Doyle se prenait pour Sherlock Holmes. On retrouve cette fois l’auteur britannique dans son costume plus habituel d’écrivain moraliste même si « Une Fille, qui danse » n’est pas exempt de suspense avec des révélations qui apparaîtront jusque dans les dernières pages.

La première moitié du livre qui se déroule dans les années 60 est du Barnes pur jus. On y suit un groupe d’ados, dont le narrateur Tony et son ami, le brillant Adrian. Au centre : Veronica, qui passera des bras du premier à ceux du second. Cette période exaltée pleine de jeunesse arrogante et d’insouciance s’achèvera avec le suicide inexpliqué d’Adrian.

Pour la seconde partie du roman, on effectue un bond dans le temps de 40 ans. Le narrateur est un homme âgé, plutôt serein par rapport à sa vie, et surtout avec l’impression d’en avoir une pleine compréhension rétrospective. Sauf qu’un jour surgit le journal intime de son ami de lycée disparu, Adrian. Et tout ce que Tony pensait si bien maîtriser, commence alors à s’effriter avant de totalement s’effondrer.

Julian Barnes aura eu raison de prendre son temps (6 ans) pour écrire son nouveau roman. Celui-ci est bref mais très précis. La première partie en apparence assez légère, révèlera notamment lors d’une deuxième lecture beaucoup d’éléments qui annonceront le final tragique (les énumérations de la première page mais aussi le cours d’Histoire sur l’origine de la Première Guerre Mondiale, la mention d’Eros et Thanatos ou de la subjectivité de l’historien…). Même si je n’ai pas été bouleversé comme j’ai pu l’être par exemple avec certains bouquins de Philip Roth, le livre de Julian Barnes soulève plusieurs questions intéressantes autour des notions de culpabilité, de la responsabilité de nos actes mais aussi de nos paroles et de leur incarnation. Bref, il y a matière à réflexion et c’est déjà pas mal. 

Une Fille, qui danse (The sense of an ending), de Julian Barnes, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Ed. Mercure de France, 200 pages

mercredi 9 janvier 2013

L’Etrange destin de Katherine Carr, de Thomas H. Cook


J’ai commencé ce nouveau roman de Thomas H. Cook avec une petite appréhension. De l’auteur, j’avais adoré « Les Ombres du passé » et beaucoup aimé « Les Feuilles mortes ». Par contre, mon dernier en date, « Les Leçons du mal » m’avait pas mal déçu. Je trouvais en particulier que l’auteur commençait à se répéter. J’étais donc d’autant plus méfiant lorsque je remarquai que « L’Etrange destin de Katherine Carr » était une nouvelle fois (comme les trois précédents,  donc) construit sur un système de flash-back et de récit dans le récit.

Et puis une fois l’histoire commencée, toutes mes craintes se sont envolées.

Katherine Carr est une femme qui a mystérieusement disparue en laissant derrière elle un manuscrit. 20 ans plus tard un flic à la retraite mènera l’enquête tout en tentant de distinguer au fil du texte la fiction de la réalité.
Thomas H. Cook est vraiment très doué pour nous raconter des histoires. L’atmosphère envoûtante et gothique est bien tenue tout le long du récit. Je regrette un peu la pointe de fantastique qu’y ajoute l'auteur, pas nécessaire à mon sens, mais qui s’occulte aisément. J’aime par contre beaucoup les quelques pointes très noires qui percent  régulièrement le récit, notamment quand le narrateur parle de son fils disparu, des visions qui découlent de son enlèvement, des sévices probables qu’il a subis. Ce sont dans ces terribles moments que l’on voit que si Thomas H. Cook continue d’utiliser les mêmes structures de récit, il n’a pas fini d’explorer son thème de prédilection – le mal – et qu’il a encore beaucoup de choses intéressantes, et émouvantes, à nous dire.

L’Etrange destin de Katherine Carr (The Fate of KatherineCarr), de Thomas H. Cook, traduit de l’anglais (USA) parPhilippe Loubat-Delranc, Ed. Seuil policier, 300 pages

Le Criminel, de Jim Thompson


Bon, il fallait bien s’en douter, à enchaîner deux Jim Thompson excellents, je risquais gros en en entamant un troisième. Alors, c'est vrai, « Le Criminel » n’est pas aussi marquant que « L’Assassin qui est en moi » mais c'est tout de même un sacré bon bouquin.
L’histoire s’articule autour d’un fait divers. Un garçon qui aurait violé puis étranglé une jeune fille. L’intérêt n’est pas de savoir si l’accusé est coupable ou non, on ne le saura d’ailleurs pas à la fin. Jim Thompson s’intéresse plutôt à tout ce qui gravite autour de l’affaire en donnant la parole aux acteurs secondaires : famille de l’inculpé, avocats, médias, flics, habitants anonymes qui constituent l’opinion publique… On comprend vite que l’innocence ou la culpabilité du jeune homme ne dépend plus de la simple objectivité des faits, mais répond à une équation complexe dont l’ensemble des variables s’influencent les unes par rapport aux autres. 
Alors, peut-être que le gamin est coupable, peut-être ne l’est-il pas. Ce qui est sûr, c’est que personne n’est innocent. Qu’ils agissent par cupidité ou par ambition, par lâcheté, par méchanceté ou par ignorance, tous joueront sans le savoir un rôle dans cette mécanique absurde. Tous auront leurs propres motivations. A part sans doute celle qui compte vraiment : la recherche de justice.       

Le Criminel (The Criminal), de Jim Thompson, traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias, Ed. Fayard noir et poche Rivages/noir, 190 pages          

vendredi 4 janvier 2013

Best of 2012




Parmi les titres sortis en 2012, voici les 8 que je retiendrai et que je conseillerai sans hésitation :    

 
 

En dehors des nouveautés 2012, voici quelques autres romans - lus cette année mais sortis pour certains il y a bien longtemps - dont la lecture m'a particulièrement marqué : 
1/ Kaputt, Malaparte  -  2/ Les Amours interdites, Yukio Mishima  -  3/ La Désobéissance, Alberto Moravia  -  4/ Le Désert des tartares, Dino Buzzati  -  5/ Construire un feu, Jack London  -  6/ La Ville piège, Jason Starr  -  7/ Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski  -  8/ La Porte, Magda Szabo  -  9/ Carnet de la maison morte, Dostoïevski  -  10/ Le Carcan - Bill Pronzini