mercredi 26 décembre 2012

Loser, de Jason Starr


« Loser » est le troisième roman de Jason Starr. On sent qu’il n’y a pas encore toute la maîtrise de « Mauvais Karma » ou de « La Ville Piège » mais on sent aussi que l’auteur tente quelque chose de plus subtil et moins spectaculaire que ses deux premiers romans. Le risque, c’est que certains lecteurs pourront rester sur leur faim. Il n’y a pas de gros rebondissements, ni de fin inattendue. On suit juste un mec pas très futé qui se croit plus malin que tout la monde, qui n’a pas grande morale et qui va enchaîner les mauvais choix jusqu’à signer sa perte sans même s’en rendre compte. Pour ma part, Jason Starr a encore réussi à totalement m’emporter sans me lâcher pendant ses 300 pages. Et j’y ai encore pris un vrai plaisir. Son écriture est toujours aussi limpide et fluide. Peu d’adjectifs, des phrases minimales, et au final un rendu hyper réaliste. Ce n’est pas le livre que je conseillerais pour découvrir l’auteur mais pour ceux qui aiment déjà, il est à lire sans faute.

Loser (Fake ID), de Jason Starr, traduit de l’anglais (USA) par Frédéric Brument, Ed. Rivages/noir, 280 pages.
  
En bonus, pour s’y retrouver, la liste des ouvrages de Jason Starr par ordre chronologique :

1998 - Cold caller – Simple comme un coup de fil (Ed. Fleuve Noir, 1998)
2000 - Nothing personal – Petits meurtres à Manhattan (Ed. Fleuve Noir, 2001)
2000 - Fake ID – Loser (Ed. Rivages/noir, 2011)
2002 - Hard feelings – Mauvais karma (Ed. du Rocher, 2004 ; Ed. Rivages/noir, 2005)
2003 - Tough luck – pas traduit
2004 - Twisted city – La Ville piège (Ed. du Rocher, 2005 ; Ed. Rivages/noir, 2008)
2006 - Lights out – Frères de Brooklyn (Ed. du Rocher, 2007 ; Ed. Rivages/noir, 2009)
2007 - The Follower – Harcelée (Ed. du Rocher, 2008 ; Ed. Rivages/noir, 2012)
2009 - Panick attack – Crise de panique (Ed. Outside, 2011)
2011 - The Pack – pas traduit
2012 - The Craving – pas traduit

Avec Ken Bruen :
2006 - Bust – Sombres desseins (Ed. Seuil, 2008)
2007 - Slide – pas traduit
2008 - The Max – pas traduit


De bons voisins, de Ryan David Jahn


« De bons voisins » est tiré d’un fait divers célèbre aux Etats-Unis, l’assassinat de Kitty Genovese en 1964. La jeune femme fut agressée à deux reprises puis finalement assassinée dans la rue près de chez elle. Malgré la durée de l’agression aucun des voisins ne prit la peine d’intervenir ou d’appeler la police, chacun pensant que quelqu’un d’autre s’en occuperait. Une règle a été tiré de ce cas d’école : plus les témoins sont nombreux moins il y a de chance qu’ils agissent.
Ryan David Jahn donne donc son interprétation de cette nuit particulière en imaginant les vies des voisins passifs. Des vies pour la plupart moroses, pleines d’angoisses et de désillusions. Tous ces fragments mis bout à bout aurait pu relever de l’anecdotique mais Ryan David Jahn fait preuve d’un beau style d’écriture qui nous projette sans peine dans chacune des vies tout en distillant un redoutable suspense. J’ai pensé à Echenoz ou Jauffret dans certains passages, mais saupoudré d’une indéniable efficacité américaine.

De bons voisins (Acts of violence), de Ryan David Jahn, traduit de l’anglais (USA) par Simon Baril, Ed. Actes Sud, 270 pages

mardi 25 décembre 2012

La fin de l’innocence, de Megan Abbott

Pas très emballé par ce livre de Megan Abbott. L’ambiance du début était pourtant prometteuse malgré un point de départ on ne peut plus classique (la disparition d’une jeune fille, les émois d’une petite ville, la douleur de la famille, les conséquence au collège…). L’auteur parvient bien à nous plonger dans la tête d’une fille de 13 ans, la meilleure amie de la disparue. Malheureusement, une fois le décor planté, l’intrigue traîne péniblement en longueur et je me suis vite ennuyé. On pourra me rétorquer que ce n’est pas un thriller, mais dans ce cas je trouve que l’écriture n’est pas suffisamment à la hauteur. Laura Kasischke par exemple s’en sort beaucoup mieux sur le thème des troubles de l'adolescence.

La fin de l’innocence (The end of everything), de Megan Abbott, traduit de l’anglais (USA) par Isabelle Maillet, Ed. JC Lattès

Ciseaux, de Stéphane Michaka


Stéphane Michaka est l’auteur d’un polar, la Fille de Carnegie, qu’il avait adapté d’une de ses pièces de théâtre. On le retrouve cette fois avec un roman qui s’attarde sur Raymond Carver et plus particulièrement des relations très particulières qu’il entretenait avec son éditeur.
Ciseaux, c’est le surnom que l’on prête dans la profession à Gordon Lish, éditeur d’une revue littéraire de bonne renommée. Peu d’auteurs trouvent grâce à ses yeux, mais lorsqu’il reçoit le premier manuscrit d’un certain Raymond Carver, il lui reconnaît du talent… ce qui ne l’empêche pas de couper et de réécrire les trois quarts du texte. Il fera de même avec toutes les nouvelles suivantes. En face, on observe un Carver tiraillé entre l’envie d’être publié et l’humiliation de ne pas voir son travail accepter tel quel. Michaka parvient très bien à nous balader d’un côté à un autre, avec un Lish, brutal certes, mais qui semble révéler Carver à lui-même et face à lui un écrivain en proie au doute, qui n’a jamais voulu être minimaliste, et qui questionne à la fois son talent, son intégrité et son envie de reconnaissance.  
Le récit est vif et passionant. Je regrette juste qu’à trois reprises Michaka intègre des nouvelles supposément écrites par Carver. Elles sont censées refléter l’état d’esprit de Carver à certains points charnière de sa vie, mais le changement de rythme et de style a plus perturbé ma lecture qu’autre chose.
  
Ciseaux, de Stéphane Michaka, Ed. Fayard, 270 pages

vendredi 21 décembre 2012

L’Assassin qui est en moi, de Jim Thompson


Après « L’Echappée », voilà la deuxième retraduction de Jim Thompson chez Rivages. Et c’est du lourd ! « The Killer inside me », un très grand roman, le meilleur que j’ai eu l’occasion de lire de Thompson.

Lou est adjoint du shérif de la petite ville de Central City, Texas. C’est un mec gentil. Gentil-gentil, voire un peu couillon. Il a la mauvaise habitude d’abuser des formules toutes faites et d’énoncer des lapalissades exaspérantes, mais les gens ne lui en veulent pas trop. C’est un brave gars.

Voilà pour les apparences.

En fait, Lou est complètement barge. Très intelligent, sans aucune empathie pour les êtres humains, avec un certain penchant pour le sexe violent et pour l’assassinat des femmes. Lou Ford, c’est un peu Patrick Bateman dans les années 50.

Thompson fait preuve d’une finesse incroyable dans l’exploration de la tête de ce taré. Ce qu’il nous donne à voir, en utilisant Lou comme narrateur, est aussi fascinant que dérangeant. J’aime aussi l’audace dans la construction du récit. Thompson joue avec nos nerfs, jongle habilement avec les retours en arrière, instaure du suspense, nous lâche quelques indices avant de nous dévoiler les stratagèmes toujours bien vicieux de Lou. Jusqu’à une fin désespérée et brutale qui agit comme un électrochoc. C’est vraiment brillant. Enfin, quand on sait que des chapitres entiers avaient été supprimés de la précédente traduction en Série Noire, on ne peut que saluer l’initiative de retraduction de Rivages.

L’Assassin qui est en moi (The Killer inside me), de Jim Thompson, traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias, Ed. Rivages/noir, 270 pages

mardi 18 décembre 2012

Nous avons toujours vécu au château, de Shirley Jackson


Encore un livre bénéficiant d’une traduction révisée chez Rivages. Et quel livre ! Une véritable merveille.

Dans le château du titre vivent deux jeunes filles, Mary Catherine et sa sœur Constance, ainsi que leur oncle handicapé. Ils ne sont plus que trois depuis que tous les autres membres de la famille sont morts,  empoisonnés au cours d’un macabre repas dont on ne sait que peu de choses. Trois donc, cloîtrés, renfermés sur eux-mêmes, entretenant leur folie et leur paranoïa face à des villageois des terres voisines qui démontrent une légère tendance au harcèlement.

Dès les premières lignes, Shirley Jackson nous emporte dans une atmosphère singulière et angoissante. Singulière parce que l’on baigne constamment dans les vapeurs oniriques d’un lieu qui tient autant du « Tour d’écrou » que de « Shining ». Mais aussi parce que l’on nous installe dans la tête d’une jeune fille étrange, perpétuellement effrayée, qui ne trouve réconfort que par le biais de quelques rituels superstitieux censés la protéger. Sans oublier l'animosité des villageois ou encore l’amour dérangeant, passionné, protecteur et sacrificiel, que se vouent les deux soeurs. Tous ces éléments confèrent au récit une force incroyable et en font un conte noir, gothique et poétique, à lire absolument.  

« Nous avons toujours vécu au château » (We have always lived in the castle), traduit de l’anglais (USA) par le formidable Jean-Paul Gratias, Ed. Rivages/noir, 240 pages

dimanche 16 décembre 2012

L’Echappée, de Jim Thompson


Les éditions Rivages s’engagent dans une retraduction des œuvres de Jim Thompson. On salue l’opération ne serait-ce que parce qu'elle permet de mettre un coup de projecteur sur des titres parfois oubliés. Or, cette « Echappée » mérite qu’on la découvre à tout prix. C’est vraiment du grand Thompson, noir et très brutal ! A partir d’un braquage qui tourne mal, un couple à la Bonnie and Clyde se retrouve en cavale avec les flics à ses trousses. Au-delà d’une trépidante course poursuite en voiture, train, bateau… c’est la relation entre les deux truands, Doc et Carol, qui passionne. Parce qu’il passe sans prévenir de ses manières de gentleman à des actes barbares, Doc est vraiment flippant. Quant à Carole, sa paranoïa et sa peur envers son compagnon qui enfle au fur et à mesure du récit nous prend aux tripes (deux scènes notamment sont incroyables, l’une dans une grotte, l’autre dans une gare). Et il y a cette dernière partie qui semble sortir de nulle part, hallucinante, presque fantastique, qui clôt le roman d’une façon que l’on n’aurait jamais imaginée. Très recommandé.  

L’Echappée (The getaway), de Jim Thompson – traduit de l’anglais (USA) par Pierre Bondil, Ed. Rivages/noir, 240 pages

Birdman, de Mo Hayder


Il y a quelques années, j'avais lu « Tokyo » de Mo Hayder. Et contrairement à beaucoup de personnes, j'avais trouvé ça nul. Pas revanchard pour un sou, je me suis lancé dans son premier roman, « Birdman ». Et là, oh joie, j'ai plutôt aimé ! On est pourtant dans quelque chose d'assez classique, très proche du « Silence des agneaux », avec un flic enquêtant sur un tueur en série qui tue des femmes et les abandonne avec un oiseau cousu dans leur cage thoracique. Mais au-delà de l’histoire, c’est le savoir faire de Mo Hayder qui nous accroche (pas mal pour un premier roman). Des changements de point de vue et des flash back prenants, un rythme pas effréné mais qui s’impose sans peine, un penchant pour l’horreur qui secoue vraiment, et surtout des ressorts narratifs qui tentent de s’écarter de ceux trop classiques du thriller. Voilà, ce n’est pas inoubliable, mais c’est bien ficelé et surtout on sent une vraie plume avec un certain caractère. Malheureusement, je n’ai pas l’impression que Mo Hayder ait finalement confirmé ce qu’on sentait d'intéressant chez elle par la suite.         

Birdman, de Mo Hayder – Ed. Presses de la Cité et Pocket, 200 pages

mardi 11 décembre 2012

Le Diable, tout le temps, de Donald Ray Pollock


Je reviens brièvement sur « Le Diable, tout le temps » que j'ai lu en début d'année et qui reste une de mes meilleures lectures 2012. Je viens d’apprendre qu’il a reçu le titre de meilleur roman de l’année par le magazine Lire. Lire, ça vaut ce que ça vaut mais comme le livre n’a pas rencontré un très grand succès en librairie, un prix grand public tel que celui-ci ne peut pas vraiment faire de mal. Après le Grand Prix de littérature policière qu’il a déjà obtenu, c’est un doublé complémentaire (même si c’est légèrement hardos comme contenu. Y’a des chances que la ménagère de moins de 50 ans en ressorte la tête un peu fracassée).
En quelques mots, rappelons que ce bouquin mélange l’ambiance poisseuse et grotesque du film « Massacre à la tronçonneuse » à celle des romans d’Harry Crews ou de Faulkner. Qu’on y suit entre autres personnages totalement allumés et tordus un prédicateur gravement illuminé, un tueur en série qui se prend pour Helmut Newton, un gamin légèrement traumatisé pour avoir été forcé par son père à prier nuit et jour non stop au milieu d’immondices pour soigner sa mère malade… Un roman choral  fascinant et désespéré, qui prend aux tripes.  

Le Diable, tout le temps (The Devil All the Time) de Donald Ray Pollock, traduit de l'anglais (USA) par Christophe Mercier, Ed. Albin Michel, 370 pages

Viviane Elizabeth Fauville, de Julia Deck

Viviane Elizabeth Fauville. Age : 42 ans. Situation familiale : un bébé de 12 semaines, un mari passé à l'état d'ex depuis peu. Particularité : femme au bord (voire un peu plus) de la crise de nerf, vient de tuer son psy.

« Viviane Elizabeth Fauville » est un polar, ou plutôt un vrai-faux polar. Parce que vu qu’on est chez Minuit, forcément, il faut s’attendre à du second degré, à un jeu sur le genre comme a pu par exemple le faire Echenoz par le passé. On suit ce récit d'une femme qui cherche à s'extirper des griffes de flics un peu trop soupçonneux avec un vrai plaisir, toujours un sourire au coin des lèvres grâce à un humour délicieusement pince sans rire. Plus que par l’intrigue, c’est par le style que Julia Deck nous tient. Au-delà de 200 pages, on aurait peut-être décroché, mais là le dosage est parfait. Un premier roman assez réjouissant.

Viviane Elizabeth Fauville, de Julia Deck, Ed. Minuit, 160 pages

mercredi 5 décembre 2012

Lettres de Carthage, de Bill James

Dans la banlieue plutôt chic et tranquille de Tabbet Drive en Angleterre, un couple fait l'admiration de ses voisins. Denis et Jill Seagrave, époux modèles... en apparence. Car derrière la pelouse bien tondue et les haies fraîchement taillées se cachent quelques secrets pas jolis jolis.
"Lettres de Carthage" rappelle un peu "Les Apparences" de Gillian Flynn. Là aussi l'image idyllique du couple est sérieusement amochée. C'est retors, pervers, bourré d'hypocrisie et de méchanceté. La grande différence réside dans le choix de Bill James pour le récit épistolaire. La forme est donc originale et permet quelques astuces originales.
Malgré tout cela je n'ai pas été très emballé par le livre. Principalement à cause du ton de l'héroïne principale. J'ai bien compris ce qu'il y avait de volontaire de la part de Bill James dans ce ton, il l'écrit lui-même d'ailleurs vers la fin : "lettres qui comportent de longues et ennuyeuses digressions...", "style plutôt empathique (! et italique), assorti de maintes répétitions et clichés". Mais du coup, cet exercice de style que je n'ai pas particulièrement trouvé brillant, m'a aussi empêché d'apprécier l'histoire. Dommage.

Lettres de Cathage, de Bill James, traduit de l'anglais par Fabienne Duvigneau, Ed. Rivages, 210 pages